ART PEPPER
NO LIMIT
Chronique Michel Perrier
https://www.jazz-rhone-alpes.com/190601-jazz-et-polar-sur-le-canal/
Douze nouvelles, écrites par douze plumes du roman noir, illustrées par douze graphistes de talent, douze compositions soigneusement sélectionnées, il fallait bien tout ça pour donner vie à la passion que voue Dominique Delahaye à l’immense saxophoniste Art Pepper. A mille lieues de l’étude savante de la musique du maître, tout aussi éloigné du reportage encyclopédique retraçant par le menu son parcours musical, Hommage à Art Peper, No Limit, c’est le titre donné au livre-disque qui concrétise ce projet vraiment pas ordinaire, tire son inspiration des frissons qui vous parcourent l’échine à l’écoute de la musique d’Art Pepper, à l’évocation des démons qui ont fini par l’emporter et au souvenir de la grâce qui le touchait dès qu’il portait le bec du saxophone à ses lèvres, toujours « en quête de la perfection dans le déséquilibre permanent ». La déchéance aussi : « la beauté l’avait déserté« , « les notes les plus hautes étaient au sommet d’un escalier qu’il n’arrivait plus à gravir qu’à quatre pattes, essoufflé. »
Mélomane averti, « Dom » a plus d’une corde à son arc : auteur et scénariste de BD, il exerce avec tout autant de flamme et d’émotion ses talents de musicien : instrumentiste (devinez quoi ?), et crooner intimiste à la voix éraillée.
Pour porter l’aboutissement de ce projet sur les fonds baptismaux, rien de mieux que l’antre de la péniche Salammbô, amarrée dans le port de Roanne, après une séance de dédicaces au Carnet à Spirale, l’incontournable librairie de Charlieu. L’affaire se joue en deux fois deux sets, eu égard à la capacité d’accueil du lieu. Le premier set est consacré à une lecture musicale de passages choisis des nouvelles par Anne Dutilloy et Dom, avec en trame musicale l’opus qui a inspiré le texte, tantôt en fond, tantôt en premier plan ; Jean-Yves Auchère à la contrebasse et François Forestier à la guitare tissent leur toile d’harmonies et de dissonances savamment dosées, rythment les mots, aiguillonnent les orateurs, posent les ambiances (sublime Wintermoon ….) et donnent leur pleine mesure dès que le sax entre en vibration ; Dom distille ses notes en funambule, à l’alto ou au ténor, et le set se termine sur Mr. Yohe, enlevé comme il se doit.
Le second set, entièrement musical, est consacré au répertoire interprété par Art Pepper, compositions ou standards, parmi lesquels on reconnaît Softly as the morning Sunrise, Bernie’s Tune, Felicidade, Everything happens to me, pour le citer que les plus connus. Dom alterne l’instrument et le chant ; le timbre de sa voix en raconte bien plus que les textes des chansons, avec l’élégance de certain chanteur d’un groupe pop-rock des années 70 aussi célèbre pour sa musique que pour les pochettes de ses disques, converti avec succès au jazz. Un vrai gentleman. Jean-Yves en profite pour revenir à son sax ténor de prédilection pour une incursion marquée par quelques solos affûtés, ouvragés et dangereusement beaux comme un Laguiole. Quant à François Forestier, il marque chaque morceau de son empreinte, avec cette manière particulière de jouer dans l’instant, lui aussi sur le fil, et d’entraîner son monde vers des destinations toujours surprenantes, d’abandonner la trame pour mieux s’abandonner à son imaginaire sonore et explorer des chemins inattendus. Swing, bossa nova, blues se succèdent, à l’image de la palette sur laquelle Art Pepper piochait les couleurs de sa musique ; une palette à fond noir, bien entendu.
Hommage à Art Pepper – No Limit
Editions Petit à Petit
www.petitapetit.fr